Pourquoi la moutarde nous manque, Philippe Meyzie

Entendez-vous l’éco ?, France Culture

Comment se développe le phénomène de panique économique autour du manque alimentaire ? Dans quelle mesure les pénuries de produits essentiels ont-elles engendré une recomposition de nos systèmes alimentaires, voire ont constitué des aubaines pour certains secteurs .

En 1693, un chroniqueur bourguignon note que “la cherté des grains a été si grande par tout le royaume qu’on y mourrait de faim”. Les pénuries de produits alimentaires de premières nécessité, tels que les grains (du blé à la moutarde) sont choses communes à travers l’histoire. Pour comprendre la spécificité de la pénurie de moutarde qui sévit en France aujourd’hui il faut revenir à l’histoire des besoins alimentaires et à l’histoire économique de la peur du manque. Si la pénurie de moutarde est tant médiatisée, c’est aussi qu’elle s’insère dans une culture de la faim et une peur du manque qui caractérisent les populations européennes. La moutarde est ainsi passée progressivement d’un produit de luxe à un produit de consommation quotidienne, du fait de l’évolution du goût et des pratiques culinaires dû à une élargissement des systèmes productifs et commerciaux.

Du blé à la moutarde : de la nécessité à l’agrément, ce que les pénuries disent de l’évolution du système alimentaire

Dans nos sociétés occidentales contemporaines, l’alimentation demeure un enjeu central. Certes, si l’Europe est aujourd’hui bien éloignée des grandes disettes qui ont marqué l’histoire du continent, et des contrastes entre pénurie et abondance qui ont marqué l’époque moderne, l’alimentation reste un objet de crainte, de débats, de valorisation. Selon Philippe Meyzie “sous l’Ancien Régime, la pénurie de céréales, qui sont la base de l’alimentation, risque d’entrainer une agitation populaire, c’est une crainte du pouvoir car il y a une sorte de contrat tacite dans la France de la monarchie, le roi doit nourrir son peuple et s’il ne le fait pas cela provoque des révoltes. Cette question de l’approvisionnement est de nature politique et est très sensible dans les villes. Les villes ont voulu éviter le manque et les pénuries par crainte des révoltes urbaines“. Par ailleurs, les pénuries ont tendance à augmenter la spéculation et à favoriser hausse des prix, on observe également des phénomènes substitution ou de report sur d’autres aliments. Fabrice Genin le confirme “il y aura une hausse de prix sur le pot de moutarde en raison de la pénurie de graines de moutarde et de la hausse des charges sur les pots, les étiquettes…Tous les jours il y a de nouveaux condiments qui essayent de prendre leur place sur le marché, les consommateurs sont très volatiles, cependant la moutarde devrait rapidement reprendre sa place dans les assiettes des Français“.

L’économie du manque : entre aides étatiques et innovation techniques

Depuis l’Antiquité et le système annonaire romain, il existe l’idée selon laquelle le pouvoir de la cité doit constituer des stocks et anticiper les pénuries alimentaires. Ainsi, les autorités constituent des stocks pour remettre sur le marché des grains lorsque les prix deviennent trop élevés. Ce système perdure jusqu’à l’époque moderne, avec une intervention forte de l’Etat. Selon Philippe Meyzie “il y a deux solutions face à la pénurie : l’anticipation, en constituant des stocks, c’est une politique qui est mise en œuvre dès l’Antiquité. Les pouvoirs publics interviennent également en diversifiant les provenances des denrées. Enfin l’Etat peut intervenir en réglementant les prix, c’est la fixation autoritaire des prix. La crainte d’une pénurie organisée existe encore, la spéculation crée des tensions et des profits. Après la Seconde la seconde guerre mondiale, période marquée par le rationnement d’un certain nombre de produits, on assiste à un fort développement de la production agricole, pour avoir les quantités de nourriture nécessaires afin de plus être confronter à ces temps de pénurie“.

Aujourd’hui la pénurie de moutarde touche à sa fin, selon Fabrice Gelin “il y a eu une bonne récolte en France, on a retrouvé une production presque normale, les industriels vont retrouver en septembre les premières graines disponibles, le rayons vont de nouveau se remplir“.

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